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Distante attention

On entend, ou plutôt lisons-nous, çà et là que le terme « distanciation sociale » est impropre et qu’il faudrait lui préférer celui de « distanciation physique » selon une recommandation de l’OMS publié en mars 2020.
Publié le : 11 juin 2020

On entend, ou plutôt lisons-nous, çà et là que le terme « distanciation sociale » est impropre et qu’il faudrait lui préférer celui de « distanciation physique » selon une recommandation de l’OMS publié en mars 2020. Certes, ce terme puisé dans le lexique américain de « social distancing » traduit probablement de façon hâtive et trop littérale cette mise à distance réglementaire, mathématique et salutaire entre nos êtres. Mais à y regarder de plus près, cette formule ne revêt-elle pas quelque chose de plus inquiétant quant à nos rapports ? 

Le manque ou l’absence de contact physique ne signifie pas d’emblée la mort des relations : les réseaux sociaux, les groupes Whatsapp de copains confinés, les défis photo ou audio sur Facebook, les Zoom apéritifs à tire-larigot nous démontrent chaque jour que les échanges demeurent possibles, attendus et nous rappellent à quel point rien ne vaut l’IRL (« In real life ») en ces promiscuités numériques. 

Ce qui interroge davantage, c’est le terme « distanciation » que l’on prononce et entend plusieurs fois par jour, devenu quasiment naturel.  En matière de communication, « cela fait sens » comme dirait l’autre. Googlelisons « distanciation » : « Recul, détachement pris par rapport à qqn, qqch. ; spécialement, au théâtre, par rapport à la situation représentée. ». Il est donc question de « distance entre le spectacle et le spectateur », entre ceux qui savent et font, et ceux qui assistent, en silence. Dans une société où pouvoir et organisations fonctionnent de façon pyramidale, où perdurent les notions de « premiers de cordées » et des tout justes découverts (!) « premiers de corvée » que dit de nous cette « distanciation » sans cesse répétée ? Les mots ont une logique émotionnelle : le terme « distanciation » qui a émergé ces dernières semaines et la promiscuité numérique renforcent sans doute de manière subtile nos travers et un quant à soi dangereux pour le vivre ensemble. Ne serait-il pas plus judicieux de faire appel à des mesures d’« attention sociale » pour se défendre du virus ? Elle n’enlèverait rien aux mesures sanitaires et permettrait de se reconnaître en l’autre, ce soi-même masqué.

Albano Saldanha

Directeur des contenus

asaldanha@makheia.com