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Les marques et le défi de l’après crise #Episode 2. Roland Barthes assassiné

Des marques plus authentiques, plus vraies, plus proches. Mais comment ? Pour répondre aux exigences des consommateurs, les marques doivent (re)tisser un nouveau « contrat de confiance ». Plus facile à dire qu’à faire…après 30 ans de règne « performatif ». Et la crise a redessiné des frontières.
Publié le : 17 juin 2020

Dans son (remarquable) ouvrage « La septième fonction du langage »1, Laurent Binet raconte comment Roland Barthes, assassiné en sortant d’un déjeuner chez François Mitterrand, permet néanmoins à celui-ci de balayer Giscard lors d’un débat télévisé et d’être, contre tous les pronostiques, élu Président de la République en 1981. La recette : une nouvelle fonction du langage…tellement efficace qu’aucun locuteur ne peut y résister. Ainsi Mitterrand assénant : « je ne suis pas votre élève et vous n’êtes pas le Président de la République, ici » ou encore : « Si je suis l’homme du passé, c’est quand même ennuyeux que vous soyez devenu, vous, l’homme du passif ». KO technique ! « Dire, c’est faire » souligne l’auteur. Et le langage devient magique ; c’est sa fonction « performative » poussée à l’extrême. Un (mauvais) rêve de communicant.

 

Depuis, en effet une trentaine d’année, la communication dite « performative » est un classique. Et on a souvent tendance à confondre « performatif » et « performant » donc efficace. Dans notre langage (dégradé) de communicant une publicité performative est devenue une publicité efficace !

C’est forcément un peu plus compliqué. 

A l’origine des travaux de différents linguistes et sémiologues2, une fonction performative répondait à une exigence spécifique : transformer, à l’instant, une situation par le verbe, ou espérer que l’énoncer fera advenir la chose. Le fameux « Je vous déclare mari et femme » du maire en étant une des illustrations les plus évidente (avec le non moins redouté « je vous condamne… » du juge). 

Oswald Ducros définira même l’acte performatif comme étant « présenter ses paroles comme induisant immédiatement une transformation juridique de la situation ». On est quand même loin du familier « Carglass répare, Carglass remplace » qui reste dans une fonction d’information fut-elle fortement affirmative !

 

Une communication « coopérative » est-elle possible ?

 

L’usage de la fonction performative dans la communication en a légèrement modifié le concept, qui est devenu une trilogie spécifique :

– Faire savoir,

– Faire croire,

– Faire acheter…avec l’intonation particulièrement volontaire du « Faire ».

 

La méfiance désormais endémique des consommateurs envers tout émetteur (entreprises, institutions et politiques), voudrait que l’on élimine (au moins) le « faire-croire » … pour se (re)concentrer sur le faire-savoir, et laisser le consommateur libre pour « le faire acheter ». Encore plus avec la crise du Covid. Celle-ci ayant encore rendu les consommateurs plus sensibles à un opportunisme mal placé.

Témoin, ce mouvement spontané « anti-récup », avec pétition à la clef appelant à exclure d’office toutes les publicités utilisant le virus comme argument publicitaire. “Des marques utilisent le Covid-19 comme n’importe quelle opportunité d’avoir des likes, de l’engagement, de la visibilité et des récompenses. Mais quand des gens meurent, que les systèmes de santé sont saturés (…), ce n’est pas un “moment culturel”, c’est une catastrophe humanitaire”, explique le manifeste de cette pétition (Canneswenot.com).

Une analyse que vient renforcer Thomas Kolster, auteur et fondateur, entre autres, du mouvement Goodvertising, qui estime pour sa part « qu’il faut que les marques acceptent d’être des catalyseurs, et non plus des héros »3

 

La crise a néanmoins donné naissance à une nouvelle typologie de prises de parole : une sorte de publicité « coopérative ». 

Par exemple quand Burger King, sous le slogan « Le Steakhouse n’a jamais aussi bien porté son nom » propose des listes d’ingrédients faciles à trouver au supermarché pour reproduire 4 recettes de burger de l’enseigne chez soi. Ou encore lorsque Ikea utilise ses fameuses notices d’assemblage de meuble (réputées pour leur obscurantisme) pour expliquer les règles du confinement. 

 

Comme si, on pouvait désormais substituer une sorte de « faire-avec » au « faire-croire ». Reste à définir les différentes formes du « Avec ». Ce qui implique que les marques fassent une profonde et « authentique » analyse de leur ADN pour identifier les ressources susceptibles d’être mises en avant et permettent aux consommateurs de s’engager. 

A suivre.

 

 

1 La Septième fonction du langage. Edition Grasset, 2015

2 Notamment : Roman Jakobson, Roland Barthes, JL Austin

3 In L’ADN : 2 juin 2020

Edouard Rencker

Président de Makheia Group